Atterrissage

Le nouveau régime climatique

Beaucoup d’entre nous partageons une situation générale de désarroi, d’inquiétude commune face à la crise environnementale, comme si brusquement la Terre sur laquelle nous nous trouvons se mettait à bouger, à réagir à nos activités. Nous sommes bombardés de mauvaises nouvelles, venant de scientifiques eux-mêmes angoissés : augmentation de la température, augmentation des épisodes de canicule, de sécheresse, d’inondation, de cyclones, disparition d’espèces, appauvrissement des sols, montée des eaux, et ainsi de suite. Nous absorbons ces mauvaises nouvelles et nous ne savons pas quoi en faire. Nous n’avons pas le métabolisme pour digérer ces nouvelles. Pour certains, la manière d’absorber cela est de nier que le problème existe. Il y en a d’autres que ces nouvelles paralysent, et empêchent d’agir. Et il y a celles et ceux qui essayent de trouver des métabolismes nouveaux. 

Nous savons, grâce aux travaux du Think Tank “Global Footprint Network” vulgarisés par WWF, que si tous les habitants de la planète vivaient comme un.e français.e moyen.ne, il faudrait 2,7 planètes pour soutenir notre mode de vie. Si nous vivions comme les américain.es, il en faudrait 5. Il nous faut 3 ou 5 planètes, mais nous n’en avons qu’une. Nous devons donc faire rentrer toutes nos ambitions de développement et d’émancipation dans le cadre que cette Terre, la seule que nous ayons. Atterrir, c’est faire coïncider nos modes de vie et les capacités de la Terre, c’est faire coïncider le monde “où nous vivons” avec le monde “dont nous vivons”, celui qui contient ce dont nous avons besoin, d’après l’expression de Pierre Charbonnier. 

Les dernières élections européennes confirment que la question climatique, même quand on ne la mentionne pas directement, oriente toutes les positions.

Nous entrons bien dans un nouveau régime climatique au sens scientifique et politique du terme. Les partis dits de gouvernement se sont effondrés, laissant face à face deux ensembles l’un plus libéral et européen, l’autre clairement nationaliste et eurosceptique qui posent, chacun à sa façon, la question de l’espace dans lequel doit se dérouler désormais la politique et le type de peuple auquel il faut désormais se référer. Mais, aux mêmes élections, la montée des partis « verts » permet de préciser une troisième direction que l’on ne peut plus situer entre la gauche et la droite et qui pourtant définit clairement une différence claire entre progressistes et réactionnaires : cette direction que l’on peut appeler l’attraction pour le Terrestre partage avec les deux précédentes l’angoissante question de savoir quels peuples habitent quels sols, mais elle la pose d’une façon entièrement différente. Elle ne se réfère plus à des communautés imaginaires — le peuple, le globe, le marché, le bel autrefois — mais à un sol concret, que l’on peut dire épaissi par le grand nombre d’êtres que ne cessent de révéler les sciences de l’écologie et du climat. Au lieu d’une version abstraite et seulement horizontale d’un sol bordé par des lignes comme sur une carte ou un parcellaire, on a plutôt à faire avec un sol vertical qui limite et délimite tout autrement les ambitions humaines.

A cause de cette rematérialisation du sol vécu, il ne s’agit plus comme jadis d’organiser la production et d’en répartir au mieux les fruits, mais d’un doute profond sur ce que veut dire « produire des biens à partir de ressources ». Ce n’est pas seulement la mise en cause d’un modèle de production, mais de la notion même de production et de ses conséquences sur la justice sociale comme sur la question des appartenances à la terre.

Présentation de la démarche par Bruno Latour 

Une démarche inspirée du livre de Bruno Latour : « Où atterrir ? Comment s’orienter en politique »

 Le dernier ouvrage de Bruno Latour, “Où atterrir”, offre un nouveau regard sur ce qu’on a l’habitude d’appeler crise écologique. Selon Latour, il s’agirait plutôt d’une crise des conditions de subsistance des habitants. Ce qui était considéré encore comme une nature extérieure à nous est devenue ce qui compose notre sol même et assure la durabilité de nos conditions de vie. Il devient donc urgent d’avoir une description précise de notre territoire réel.

Quel est le territoire sur lequel nous habitons ? Pouvons-nous le décrire ? Quelles sont les entités indispensables à notre existence ? Ces éléments sont-ils menacés ? De quoi dépend notre subsistance ? En ce sens, la notion de « territoire » va bien au-delà du lopin de terre qu’on s’acharne à protéger, ou de l’identification fantomatique avec une nation quelconque. Il ne s’agit pas simplement de limites administratives – département, canton, pays, terroir..etc.. –  mais de l’ensemble des attachements qui assurent l’existence d’un individu ou d’un collectif, son terrain de vie.

Comment atterrir ? 

Pour avoir des positions politiques incarnées, nous avons besoin de comprendre de quoi nous dépendons. Le consortium “où atterrir” propose à chacun de se pencher sur ses conditions de vie, et de réaliser son auto-description. 

Cette démarche nécessite d’abandonner pour un temps notre identité, nos valeurs et notre goût du débat, et d’accepter d’être définis par nos dépendances. Pour effectuer ce pas de côté, le consortium utilise plusieurs outils : des exercices de voix et de corps, de l’écriture et d’écoute collective. Dans cette démarche, l’art est utilisé comme une manière de capter une réalité que nous n’avons plus l’habitude de mobiliser.